Depuis mars 2020, un acteur singulier s’est imposé dans le paysage politique malien : le Collectif pour la Défense des Militaires (CDM). À rebours des associations de défense des civils ou de protection des droits humains, ce collectif se donne pour mission de soutenir… ceux qui détiennent déjà le monopole de la force. Le paradoxe n’a pas échappé à de nombreux observateurs : pourquoi défendre une armée qui, théoriquement, protège déjà les citoyens et l’État ? Plus troublant encore, les méthodes, les discours et les interventions du CDM interrogent sur sa fonction réelle : organisation citoyenne indépendante ou relais civil d’un pouvoir militaire en quête de légitimation populaire ?
Une existence légitimée par les canaux officiels

Le 25 mars 2020, en pleine effervescence pré-putschiste, le CDM voit le jour. Sa mission affichée : défendre l’image de l’armée malienne contre les critiques et les « campagnes de désinformation ». Mais c’est véritablement sous la transition dirigée par le Colonel Assimi Goïta que le collectif va gagner en visibilité, en légitimité – sinon en légalité. En mars 2024, une publication de la page Facebook officielle des Forces armées maliennes relayait un article intitulé « CDM : Le Collectif pour la Défense des Militaires et les médias autour d’un idéal commun », saluant l’organisation d’un point de presse suivi d’une rupture collective pour marquer les quatre ans d’existence du mouvement. La publication a été rapidement supprimée, sans explication.
Parmi les invités figuraient d’anciens responsables politiques, comme Moulaye Baba Haïdara, qui déclara : « Vos actes ont inspiré tout le peuple malien vers la paix et le vivre-ensemble. Vous êtes un modèle. » Un modèle dont les actions s’étendent bien au-delà des intentions pieuses : manifestations, slogans virulents contre des intellectuels ou opposants qualifiés d’« apatrides », plaintes contre des journalistes, et communiqués à forte teneur idéologique.

Du soutien à l’armée à l’intimidation des voix dissidentes

Le CDM s’est illustré dans plusieurs épisodes de confrontation avec des figures critiques du pouvoir de transition. En novembre 2024, le collectif porte plainte contre Issa Kaou Djim après sa sortie médiatique sur Djoliba TV, où il critiquait les autorités du Burkina Faso, allié du Mali au sein de l’AES. Le CDM y voit une tentative de « déstabilisation » du bloc régional et appelle à une sanction de la chaîne et à une procédure judiciaire. Peu après, Kaou Djim est condamné à un an de prison ferme, et Djoliba TV suspendue pour six mois. La plainte du CDM n’était pas la seule : le Conseil supérieur de la communication du Burkina Faso avait également réagi. Néanmoins, la coïncidence interroge sur l’influence réelle du collectif dans l’appareil répressif.

Ce n’était pas un cas isolé. En octobre 2023, le secrétaire général du CDM, Younouss Soumaré, annonce une marche de soutien aux FAMa le même jour qu’un rassemblement pacifique convoqué par la CMAS de l’imam Mahmoud Dicko en faveur d’un retour à une transition civile. Les propos de Soumaré sont explicites : les manifestants pacifistes seraient des agents de division, et toute critique du pouvoir reviendrait à « attaquer l’armée ».
Un activisme civilo-idéologique assumé
Les communiqués du CDM, régulièrement lus à la télévision nationale, traduisent une prise de position sans ambiguïté en faveur du régime militaire en place. Arborant le slogan « Asso la continuité », le collectif appelle régulièrement à la prolongation du pouvoir d’Assimi Goïta. Lorsqu’en avril 2023, le Mouvement pour la Paix au Mali (MPPM) remet en cause la légitimité du discours souverainiste de la transition, le CDM réagit par un communiqué dans lequel il exige la suspension du MPPM, le retrait de son récépissé, et l’interpellation de ses leaders.

Peu après, trois figures du MPPM — Baba Moulaye Haïdara, Amadou Togola, et Mamoudou Mohamed Mangane — sont enlevées entre mai et juin, avant d’être présentées à la justice plusieurs mois plus tard. Ils sont toujours en détention pour avoir appelé à manifester contre le projet de Constitution.
Soutien patriotique ou instrumentalisation de l’espace civique ?
Les interventions publiques du CDM accompagnent systématiquement les grandes décisions de rupture prises par la transition : retrait du Mali de l’OIF, du G5 Sahel, condamnation des médias dits « infiltrés », appui aux campagnes contre la « Françafrique » ou l’« impérialisme occidental ». Le collectif accuse l’OIF d’adopter une « posture condescendante », et célèbre le retrait du G5 Sahel comme une décision « patriotique et historique ». Ces prises de position soulèvent une question de fond : à quel moment une organisation se disant citoyenne cesse-t-elle de l’être pour devenir un organe d’intimidation et de propagande ?
Selon la loi n°04-038 du 5 août 2004 portant régime des associations au Mali, toute structure exerçant une activité à caractère politique ou sécuritaire sans en avoir l’agrément explicite enfreint la loi. Amnesty International, dans son rapport 2024 sur le Mali, s’inquiète de la montée en puissance d’organisations pro-régime impliquées dans la surveillance, la dénonciation ou l’intimidation d’opposants. Le CDM y est nommément cité.
Interrogé par la chaîne nationale en février 2024, un membre du CDM répondait à ses détracteurs : « Nous ne faisons qu’exprimer l’amour du peuple pour ses forces de défense. Ce n’est pas un crime. »
L’espace civique sous tension
L’émergence du Collectif pour la Défense des Militaires s’inscrit dans une dynamique plus large de militarisation de l’espace public. Il ne s’agit plus simplement de soutenir l’armée, mais de faire de cette loyauté un impératif moral et politique, au détriment du pluralisme. Alors que la liberté d’expression recule et que l’arène publique se referme, la multiplication de collectifs de ce type pourrait transformer la société civile en instrument d’homogénéisation idéologique. Dans un pays où la parole devient un terrain miné, défendre l’armée n’est plus seulement un acte de solidarité : c’est devenu, à bien des égards, une ligne rouge.