Le massacre présumé de civils à Diafarabé, attribué à des hommes en uniforme, ravive les accusations de violences ciblées et jette une lumière crue sur une stratégie sécuritaire de plus en plus contestée au centre du Mali.
Un calme trompeur brisé par les balles
Le lundi 12 mai 2025, la commune rurale de Diafarabé, dans le cercle de Ténenkou (région de Mopti), a basculé dans l’horreur. Selon des témoignages concordants, une vingtaine d’hommes ont été interpellés par des militaires maliens au Garbal – le marché à bétail local – puis conduits de l’autre côté du fleuve Niger. Peu après, des coups de feu ont retenti. Seul un rescapé a pu s’échapper, livrant un récit glaçant : ses camarades auraient été égorgés à proximité du cimetière. Son propre frère figure parmi les victimes.
Face à la pression populaire, une délégation gouvernementale s’est rendue sur les lieux. Mais à ce jour, aucune communication officielle n’a été faite. Seule consigne donnée : « Faites les rites. » Une reconnaissance implicite, selon les habitants, que l’exécution a bien eu lieu.
Soupçons de crimes ciblés
À Diafarabé, à majorité peule, l’indignation est vive. « Même s’ils étaient suspects, ils devaient être remis à la gendarmerie. Pas tués comme du bétail », déplore un habitant. L’ombre d’un ciblage ethnique plane sur cette opération, dans un contexte où les Peuls sont régulièrement stigmatisés, assimilés aux groupes jihadistes ou traités en ennemis intérieurs.
Un témoin insiste : « Tous les Peuls ne sont pas des terroristes. Beaucoup travaillent pour l’État, dans les hôpitaux ou les écoles. »
Une alliance aux contours flous : FAMa, Wagner et Dozos
Plusieurs sources locales évoquent une présence conjointe de militaires maliens, de paramilitaires russes du groupe Wagner, et de chasseurs traditionnels Dozos lors de l’opération. Une configuration déjà observée ailleurs au centre du Mali. « Les Dozos n’opèrent pas seuls. Ils sont coordonnés par les FAMa », assure un notable de la commune.
Ce trio, au cœur des opérations dites « de sécurisation », est aussi régulièrement cité dans des rapports d’ONG pour des exactions documentées, comme à Moura en 2022.
Une population entre deux feux
La tension à Diafarabé s’inscrit dans un contexte plus large d’insécurité chronique. Si les attaques jihadistes ont reculé récemment, leur emprise sur certaines routes reste réelle. Un incident survenu en avril 2025 entre Macina et Ténenkou l’a démontré : des jihadistes ont brièvement arrêté un convoi militaire avant de le laisser passer. Une démonstration de force silencieuse, révélatrice du contrôle informel qu’ils exercent encore.
Dans cette zone grise, la population civile est prise en étau. Entre les représailles militaires et les pressions jihadistes, chaque posture devient suspecte. Chaque silence, un danger.
Un silence politique assourdissant
La colère monte à Diafarabé, mais l’État reste mutique. « Pourquoi viennent-ils tuer nos maris ? », interroge une manifestante, la voix brisée. Beaucoup redoutent de voir leur village sombrer dans l’oubli, comme tant d’autres localités du centre devenues des points aveugles de la République.
Le message des villageois est clair : ils ne rejettent pas l’armée, mais réclament une armée républicaine. « Nous ne voulons pas de vengeances. Nous voulons la justice, la vraie », martèle un ancien instituteur.
Une spirale vieille de plus d’une décennie
Depuis 2012, le Mali est engagé dans un conflit dont l’épicentre a glissé du Nord vers le Centre. L’échec de l’intervention française, la multiplication des groupes armés, les coups d’État successifs et la militarisation du pouvoir ont contribué à ancrer la violence dans le quotidien rural.
À Diafarabé comme ailleurs, les cicatrices s’élargissent. Le massacre présumé du 12 mai 2025 pourrait bien devenir un tournant. Ou une tragédie de plus, ensevelie sous le sable du silence d’État.